[MUSIQUE] Séquence consacrée à l'Afrique du Sud post-apartheid, la rainbow nation, la nation arc-en-ciel, mais aussi à l'inertie ségrégationniste qui y règne. Il faut voir qu'avec la fin de l'apartheid dans les années 1990, le dispositif légal et les zonages qui lui étaient liés ont été démantelés avec leurs références à la race et à l'ethnie. Mais il s'agit d'un système à forte inertie sociale et spatiale, qui laisse des traces profondes dans cette nouvelle nation dite arc-en-ciel. Des mesures ont été prises rapidement pour améliorer les conditions de vie des populations pauvres, notamment dans les bidonvilles, à la périphérie des townships, ce qui ne change pas la géographie du peuplement, mais peut-être la renforce, dans le cadre de nouvelles municipalités qui elles sont inclusives et intègrent les différents types d'espaces qui ont été construits durant la période coloniale et celle d'apartheid. Des choix également vont se faire assez rapidement au profit d'une politique de soutien à la croissance et à l'attraction des investissements directs étrangers, ce qui va en quelque sorte repousser les objectifs de redistribution qui avaient été affirmés initialement ou disons les mettre au second plan. La politique d'affirmative action, qui promeut les populations historiquement défavorisées, va quand même promouvoir une nouvelle élite, issue des populations d'origine africaine. Par contre, la promotion d'une classe moyenne, qui aurait accès au système scolaire privé et aux espaces résidentiels hors des townships, elle, va être beaucoup plus lente. Elle existe, mais elle va s'affirmer de manière beaucoup plus lente. Enfin, autre phénomène important et inquiétant, c'est l'existence de clashs xénophobes, qui ont éclaté à plusieurs reprises et qui visent des populations migrantes, originaires des pays voisins ou d'Afrique de l'Est et d'Afrique centrale. Nous allons ici nous intéresser plus particulièrement à l'inertie des organisations spatiales d'apartheid, en envisageant successivement et rapidement trois thèmes. D'abord, le maintien de la ségrégation en milieu urbain, en reprenant le cas de la ville de Graaf Reinet. Ensuite, le fait que les nouvelles technologies permettent de réinventer en quelque sorte des frontières qui étaient des frontières de l'apartheid, on verra comment. Et enfin, la place d'un référent identitaire ethnique, en l'occurrence le référent zoulou. Alors, pour ce qui est du maintien de la ségrégation urbaine dans la ville de Graaf Reinet. Le recensement sud-africain permet de suivre la distribution du peuplement, selon les origines de la population, avec les mêmes catégories que celles qui ont été créées par la colonisation et reprises par le système d'apartheid. Un site notamment permet de visualiser cette distribution selon les résultats du recensement de 2011. Sur les cartes issues du traitement de ces données, apparaît dès lors le maintien d'une séparation nette des groupes selon leur origine, dans la ville, qui ne correspond d'ailleurs que partiellement aux clivages sociaux, mesurés eux par les revenus. On le voit sur les deux cartes de distribution de la population selon ces deux critères. En fait, seul le centre ville historique connaît une certaine mixité raciale, mais peu sociale. Par contre, les denses périphéries, celles des townships et leurs extensions, restent marquées par une certaine homogénéité pour ce qui est de l'origine des populations. Ailleurs, comme à Newcastle, c'est le cas d'une autre carte, dans le KwaZulu-Natal, on peut voir qu'il a également le maintien des fragments urbains qui ont été développés aux frontières des bantoustans que vous aviez vus sur le modèle de la ville d'apartheid élargie. Un autre vecteur, et donc c'est le second point, un autre vecteur du maintien d'une certaine ségrégation, c'est celui des frontières virtuelles que permettent les nouvelles technologies. Prenons le cas d'une technologie qui s'appelle NoGo Zones. NoGo Zones, c'est une technologie développée en Afrique du Sud, c'est en fait un appareil embarqué de programmation, d'auto-programmation si l'on veut, de zones d'exclusion. On voit avec une publicité parue dans la presse sud-africaine en 2002, qui proclame, avec NoGo Zones, si vous n'avez rien à faire là, nous le saurons. En fait, quel est le message? Le message est le suivant. En cas d'incursion de votre véhicule dans les aires interdites que vous avez prédéfinies, le central est prévenu, avec possibilité de localisation précise, et donc d'envoi de secours, pour venir vous défendre. Alors, pour les besoins de la démonstration de l'utilité de ce produit, l'espace métropolitain est mis en scène. Vous y êtes projeté en situation de risque fantasmé. En fait, sur cette image, on a un beau modèle centre-périphérie. Vous êtes supposé, vous, c'est indiqué, être à proximité du Central Business District que l'on remarque par sa skyline à l'arrière-plan. En fait, dans la réalité, les populations auxquelles d'adresse cette publicité résident dans les banlieues, les suburbs, cossues, et fréquentent davantage les nouveaux quartiers de bureaux et les shopping malls qui leur sont proches. Mais évidemment c'est moins visible à cette échelle-là, sur une photo de ce type. Donc, vous qui êtes originaire de cet espace-là, vous avez été enlevé et vous vous retrouvez à l'autre bout de l'agglomération, après même les townships, que l'on voit en situation intermédiaire avec leur interminable alignement de matchboxes. Et vous êtes dans un quartier d'habitat informel, dans lequel vous avez été amené, forcément de force, avec des voies non-goudronnées, fréquentées par des piétons et des vélos. En fait, vous le voyez, c'est apparemment paisible, ça apparaît même comme un espace assez sympathique. Il y règne une ambiance villageoise, quasi-rurale, mais c'est bien là le problème. Vous êtes dans un autre monde, un monde totalement différent, où vous n'avez rien à faire. C'est celui des bantous, c'est-à-dire des ex-réserves, puis des bantoustans, qu'aujourd'hui plus aucune frontière policière ne délimite précisément. Mais heureusement, NoGo Zones pallie ce manque et vous permet d'auto-programmer la frontière qui vous est nécessaire, en programmant une zone qui vous est interdite, voilà, c'est le message. Troisième élément qui nous intéresse de près dans cette Afrique du Sud post-apartheid, c'est celui de la place du référent identitaire. Et on donc on peut prendre le cas d'un référent identitaire qui n'est pas neutre, qui est celui des Zoulous. Le référent identitaire, le référent ethnique zoulou qui est mis en scène, on va le voir, de différentes manières. Le référent zoulou dispose déjà d'une très forte puissance symbolique de par son histoire guerrière, qui en faisait un royaume dominant à l'époque pré-coloniale et qui a su infliger une défaite éphémère, mais sanglante, au colonisateur anglais. Ce qui a marqué les deux parties d'ailleurs, les populations d'origine zoulou, mais aussi l'armée britannique et la population anglaise. On est maintenant loin de l'ethnorégionalisme politique puissant, tel qu'il s'exprimait par l'Inkatha Freedom Party, au sortir de l'apartheid, lorsqu'une quasi-guerre civile a éclaté, qui était soutenue en sous-main d'ailleurs par les nostalgiques de l'ancien régime. Le référent identitaire aujourd'hui reste cependant une ressource politique assez puissante. L'actuel président Jacob Zuma, qui est lui-même d'origine zoulou, en joue beaucoup, en mettant en scène en direction des populations zoulous, mais pas seulement, plus généralement en direction des populations d'origine africaine, en fait en se mettant en scène en tant que zoulou, dans des habits traditionnels et des fêtes traditionnelles. Il exalte l'ubuntu et le mythe des traditions africaines. Et donc il flatte certaines aspirations de la population majoritaire au-delà du groupe stricte des Zoulous. Le référent zoulou apparaît également comme une ressource marchande et symbolique. La cité de Durban, par exemple, y a recours dans sa stratégie de ville globale, pour revendiquer un ancrage régional prestigieux. Et puis sur le terrain touristique, le Kwa-Zulu-Natal a été rebaptisé royaume Zoulou et promu comme destination de nature balnéaire et d'authenticité africaine. Le pays zoulou est alors assimilé à la faune sauvage et aux cités balnéaires, comme on le voit sur les cartes, aux cités balnéaires de l'océan Indien, autant qu'aux aspects ethno-culturels. Ce déploiement spatial, qui est donc métropolitain et qui est côtier du référent zoulou, est en décalage partiel avec le Zoulouland historique, tel que reconnu par la colonisation et traduit par les réserves, puis le bantoustan du KwaZulu et qui est maintenant encore siège de la chefferie zoulou et d'un district qui reste le bastion politique du parti ethnorégionaliste Inkatha Freedom Party. Donc pour synthétiser cette séquence, on peut dire que dans l'Afrique du Sud contemporaine, on a une inertie de la ségrégation sur base raciale, ceci sur fond d'ailleurs de xénophobie. On a des stratégies d'enferment sur base socio-économique, mais qui reprennent des schémas hérités des représentations sur les espaces fréquentables ou infréquentables d'un point de vue racial et ethnique. Et enfin, on a une mobilisation à géométrie variable des référents ethniques, et notamment du prestigieux et fameux référent zoulou. [MUSIQUE]