[MUSIQUE] Le concept dont on va vous parler maintenant est le concept central de ce MOOC, puisqu'il apparaît dans le titre ; il s'agit de la frontière. >> Oui, alors la frontière, on peut déjà dire que c'est un objet, un objet scientifique, qui est un objet fétiche, pour la géographie politique et la géographie culturelle. En même temps, la géographie n'a pas l'exclusivité de l'intérêt scientifique pour la frontière, et il y a bien d'autres disciplines qui s'y intéressent. On peut penser au droit, on peut penser à l'histoire, à l'économie, et encore à d'autres. On peut même dire que l'étude des frontières s'est constituée en champ scientifique autonome, qui renvoie en partie à celui des relations internationales. Voilà. Donc, une pluralité d'intérêts scientifiques pour cet objet. Nous, nous allons davantage nous intéresser, ici, aux approches que proposent les géographes, ou qu'ont pu proposer les géographes. Alors, il y a eu un certain nombre de développements théoriques sur la question des frontières. La plupart de ces développements théoriques se sont faits en couplant, en fait, la notion de frontière avec une autre notion, ou un autre concept. Donc, ce que je vous propose, c'est peut-être, rapidement, d'envisager le concept de frontière dans le cadre de ces couplages. Et on peut peut-être commencer par le couplage frontière, limite. Alors, Bernard Debarbieux a abordé déjà la question de la limite, de sa définition et, éventuellement, de ses acceptions ontologiques. Alors, frontière et limite, il y a plusieurs positionnements possibles. Soit on estime que la frontière est une sous-catégorie de la limite, et, là, on a une approche, on peut avoir une approche assez restrictive de la frontière, c'est souvent le cas d'ailleurs, et on utilisera, en français en tout cas, le terme de frontière pour parler des limites interétatiques, autrement dit des limites des ères de souveraineté, qui depuis la période moderne sont des ères de souveraineté exclusive, et donc ça se traduit par une forme de la frontière qui va être une forme fixe, dans le temps et dans l'espace. Mais on peut aussi avoir une conception beaucoup plus extensive, beaucoup plus large, de la frontière, en l'assimilant, en fait, plus généralement, à la notion de limite. Dans ce cas-là il faut revenir à la définition de la limite. La limite c'est, finalement, en tout cas du point de vue de la géographie, c'est l'espace de séparation entre différents domaines. Pour ce qui nous intéresse, ça va être les domaines de la vie sociale, et du coup ça peut être aussi les espaces de séparation entre les identités, ou les catégories identitaires, dont Jean-François a parlé. Voilà, donc ça, c'est pour le rapport frontière, limite. On voit que ce rapport peut varier selon les approches. Alors je voudrais quand même évoquer, justement, un développement théorique à ce sujet, qui est assez intéressant, qui est celui de Claude Raffestin, qui a été professeur de géographie à l'Université de Genève, et qui s'est lancé dans une tentative de théorisation de la frontière, et qui l'a fait, justement, en cherchant, non pas à travailler sur les spécificités de la frontière en tant que sous-catégorie de limite, mais au contraire en essayant d'identifier les éléments d'ordre théorique qui peuvent être affectés à l'idée de limite, dont la frontière. Alors, pour ce faire, d'une part il rappelle que la limite ou la frontière est déjà un lieu de néguentropie, autrement dit, si vous voulez, c'est un lieu où s'exprime un certain ordre. Alors, ce qui est intéressant c'est que la frontière est, à la fois, le produit d'un certain ordre, d'une certaine conception, mais également un lieu où l'ordre s'organise, par elle-même. Et là on retrouve l'idée de performativité, qui a déjà été évoquée. Autre point développé par Claude Raffestin, c'est le fait que la frontière, ou la limite, peut se caractériser par différentes fonctions. Et il en énumère quatre. Il énumère la fonction de traduction. Autrement dit, une limite est la traduction d'une intention, d'un projet social. Il parle également de fonction de régulation. Et là, la limite va se traduire par l'existence d'un ordre qui permet de travailler, de valoriser des ressources, et donc éventuellement de réguler ses usages. Il parle également de la fonction de relation, la frontière autorisant, ou facilitant, ou permettant des relations particulières, notamment d'ordre social, entre les personnes ou les groupes qui ont en commun, justement, de vivre cette frontière, au quotidien, dans la proximité. Et puis, alors, pour finir ou pour commencer, il parle de la fonction de distinction, la frontière ou la limite ayant un rôle social majeur, qui est celui de distinguer des groupes ou des identités, et donc de fonder l'ordre dont il était question. Alors, ensuite, je peux évoquer, peut-être un petit peu plus rapidement, un autre couplage, qui est celui de la frontière et de la ligne. Alors, on sait que la frontière internationale se traduit depuis la période moderne, celle de l'affirmation des états-nations, par une matérialisation, dans l'espace, sous la forme d'une ligne, qui elle-même peut faire l'objet d'autres matérialisations, et d'une ligne fixe, dans le temps et dans l'espace. Alors, il y a de nombreux auteurs, géographes mais pas seulement, qui ont montré que cette conception fixiste de la frontière devait être historicisée, et ne résumait pas toutes les formes que pouvaient prendre les frontières, loin de là, et toutes les formes qu'ont pu prendre les frontières dans l'histoire, sur la longue durée, avant la période moderne, et, aujourd'hui, dans le cadre de la post-modernité. On peut citer Jacques Ancel, dès les années 1930, qui insiste justement, qui relativise cette dimension fixiste de la frontière, et puis, à sa suite, de nombreuses personnes. On peut évoquer Michel Foucher, chez les francophones, et on pourrait évoquer, plus récemment encore, Stéphane Rosière, qui s'intéresse à l'érection des murs, qui est donc un peu la matérialisation paroxystique de cette frontière linéaire, mais en même temps en rappelant que ce n'est qu'une forme parmi d'autres et que, au même moment, la frontière peut se matérialiser sous d'autres formes.