[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue. Dans cette session, nous allons parler de la tarification du carbone. C'est de loin la mesure la plus importante pour accélérer la transition énergétique. Elle est indispensable pour orienter le choix des consommateurs vers des produits et des services moins carbonés ; elle est indispensable pour orienter les industries vers des processus décarbonés ; elle permet en outre, dans certains cas, de générer des ressources financières en faveur de la transition. Pour bien expliquer tout ça, nous allons évoquer quatre points importants. Premièrement, pourquoi il faut mettre un prix au carbone ; deuxièmement, de quelle manière on peut le faire ; troisièmement, quelle leçon on peut tirer du marché du carbone qui existe depuis 2005 en Europe ; et enfin comment généraliser une tarification efficace du carbone. Pour éviter un réchauffement supérieur à deux degrés d'ici la fin du siècle, il faut réduire très fortement les émissions de CO2 d'origine humaine. Si on veut arriver à cette réduction rapide et drastique, il faut qu'émettre du CO2 dans l'atmosphère coûte de l'argent aux pollueur et lui coûte suffisamment cher pour le dissuader d'en émettre. Et symétriquement, il faut que l'entreprise qui apporte des solutions ou le consommateur qui évite d'émettre du CO2 en soit récompensé. Il s'agit donc de modifier les règles du jeu économiques de manière à avantager ceux qui émettent moins de carbone, et symétriquement, à rendre plus coûteuses les activités émettrices. Les producteurs d'énergies fossiles seront ainsi poussés à faire évoluer leur modèle d'affaire vers la production d'énergies décarbonées. Les industries seront incitées à revoir leur processus de production pour être plus efficaces énergétiquement et moins dépendantes des énergies fossiles. Elles feront aussi plus de recherche et de développement dans cette direction. Les consommateurs, eux, doivent être incités à une consommation bas carbone par l'offre de produits disponibles et la structure des prix. Nous parlons ici de tarification du CO2, mais les mécanismes que nous abordons peuvent s'étendre à d'autres gaz à effet de serre : le méthane, les gaz fluorés, qui sont aussi présents dans les processus industriels et agricoles. [AUDIO_VIDE] Nous allons aborder maintenant la question de comment faire pour donner un prix au carbone. Avant de parler de tarification carbone de façon stricte, nous allons d'abord évoquer les autres outils utilisés pour donner un coût au carbone comme vous pouvez le voir sur ce graphique. Première famille d'outils, les subventions. Qu'elles soient à la production ou à la consommation d'énergies fossiles, elles envoient en fait un signal prix négatif et rendent les produits émissifs moins onéreux. Comme vous le voyez ici, en 2014, les États ont dépensé environ 500 milliards de dollars pour subventionner les énergies fossiles, et les subventions sont en forte augmentation depuis 2011. On devrait, bien sûr, au contraire les réduire, et il est possible de le faire en neutralisant les effets négatifs pour les populations les plus pauvres, puisque l'État peut leur redistribuer les économies qu'il réalise en réduisant les subventions. Il est possible aussi, et souhaitable de les réorienter en faveur des solutions bas carbone, au lieu de les orienter vers une utilisation fossile. Passons maintenant à la deuxième famille d'outils : les normes et les règlements. Les émissions de CO2 d'un produit ou d'un service donné peuvent être limitées par la loi, l'outil des normes industrielles [INCOMPRÉHENSIBLE] dans deux cas : quand l'acheteur ne peut pas mesurer lui-même l'impact carbone de ce qu'il achète, ou, deuxième cas, quand l'application d'une taxe carbone seulement renchérirait trop fortement le produit pour le consommateur. C'est le cas par exemple pour la voiture ou pour le logement. En Europe, les normes imposées aux constructeurs ont permis de réduire fortement les émissions du secteur automobile, même si les fraudes ont montré que l'État doit aussi se donner les moyens de contrôler assez sévèrement l'application des lois. Et on devrait étendre ce type de norme au transport maritime et aérien par exemple, même si c'est politiquement et administrativement assez difficile. Passons maintenant à la troisième famille d'outils : la taxe. On peut taxer les émissions générées par un produit, y compris par son transport, sous la forme d'un prix à payer à l'État par tonne de CO2 émise. La taxe, pour être bien construite, doit être croissante dans le temps pour permettre à l'économie de s'ajuster progressivement. Cela existe, par exemple dans la fiscalité française pour les carburants. En 2016, la taxe est de 22 euros la tonne, avec un objectif de croissance à 56 euros en 2020 et 100 euros en 2030, et elle concerne aussi les combustibles comme le gaz. La Suède a taxé le carbone dès 1991 avec un fort effet constaté sur la décarbonation du parc de logements. Dans ce cas, les entreprises taxées doivent pouvoir bénéficier d'aide de l'État à la Selon les règle fiscales du pays, et ça dépend beaucoup des pays, le produit de la taxe peut soit être versé au budget général de l'État, soit être affecté directement à des investissements dans la décarbonation de l'économie. C'est un choix tout d'abord politique. En Europe, un système de quota a été mis en place dès 2005. Comme vous le voyez sur cette carte, ce système de quota existe actuellement dans plusieurs régions, villes ou pays du monde : en Californie, en Chine, au Japon, au Mexique. Le système de quota est un des outils les plus utilisés actuellement dans le monde. Au total, 40 pays tarifent ou envisagent de tarifer le cargone, soit par quotas, soit par taxes. Environ 12 % des émissions mondiales sont couvertes aujourd'hui par une taxe ou un marché. C'est un début, encore bien insuffisant bien sûr. Comment fonctionne ce système de quota? Il y a besoin d'un régulateur qui fixe chaque année une quantité maximum d'émissions de gaz à effet de serre pour un site industriel donné, et cette quantité diminue avec le temps. Du coup, les entreprises qui sont soumises au dispositif doivent détenir à tout moment des quotas d'émissions ou encore des permis d'émissions qui correspondent à cette autorisation. Si elles émettent plus que leur autorisation, elles doivent acheter des permis supplémentaires sur le marché, ou alors payer une forte pénalité qui est dans la pratique très dissuasive. Ceux qui, à l'inverse, émettent moins que leur quota peuvent les vendre sur ce marché. Le système de quota européen qu'on appelle EUETS couvre actuellement environ 12 000 sites industriels et 45 % des émissions européennes de gaz à effet de serre. Il concerne les industries les plus intensives en émissions de gaz à effet de serre : la sidérurgie, la papeterie, la cimenterie, la chimie, l'électricité, par exemple. Mais malheureusement, ce marché est aujourd'hui assez inefficace. Le prix de la tonne de CO2 fluctue depuis 2012 entre 5 et 10 euros par tonne. Ce n'est pas suffisant pour inciter vraiment les industriels à investir pour réduire leurs émissions. Ce n'est même pas suffisant pour utiliser des moyens moins carbonés quand il existe déjà des alternatives. Pour prendre un exemple, ce n'est pas suffisant pour que le charbon soit remplacé par d'autres sources d'électricité moins carbonnées qui existent pourtant. La première raison à ce prix trop bas, c'est l'excès de permis de quotas alloués à l'origine par le régulateur. L'autre raison est liée à la concurrence internationale dans laquelle se trouvent certaines des industries européennes. Dans le cas de l'acier par exemple, la contrainte carbone sur l'acier fabriqué en Europe alourdit encore son coût déjà élevé par rapport à celui de l'acier produit en Chine. En Chine, la production est moins chère mais elle est aussi plus carbonée, car l'énergie utilisée est à base de charbon. Dans les faits, cette industrie européenne a reçu des quotas gratuits en excès, ce qui représente une forme de subvention pour l'aider à rester compétitive. Mais ces allocations excessives au total conduisent à faire baisser le prix des quotas de circulation et à une faible efficacité du système en Europe. La tarification du carbone n'est pas vraiment abordée dans l'Accord de Paris. Il y a juste un petit paragraphe qui la cite. Mais 74 pays à ce jour et plus de 1 000 enterprises ont formé une coalition pour alimenter le dialogue entre décideurs publics et privés sur la tarification du carbone. La France, l'Allemagne, le Mexique, le Canada, le Chili, le Maroc ou encore l'Éthiopie font partie de cette coalition, qui s'appelle la Carbon Pricing Leadership Coalition, et qui a été lancée officiellement à l'ouverture de la COP 21 à Paris en 2015. Son objectif est que la tarification du carbone couvre 25 % des émissions mondiales en 2020 et 50 % en 2030. Ce qui est difficile dans la mise en œuvre du prix du carbone c'est que cela redistribue les cartes du jeu économique entre secteurs industriels. Ça redistribue aussi entre ménages et aussi entre pays aux niveaux de développement différents. La tarification du carbone doit être acceptable socialement pour réussir. Dans les pays du Sud, les instruments mis en place devront permettre d'orienter le développement vers le bas carbone. Nous avons préconisé en 2016 qu'une commission d'économistes reconnus mondialement définisse un corridor de prix par région, aligné avec l'objectif des deux degrés et les objectifs de transfert Nord-Sud. Ce corridor ne fournirait pas des valeurs prescriptives mais plutôt des valeurs capables de jouer un rôle de balise de repère pour des pays qui souhaitent instaurer des mécanismes de tarification du carbone. Sur le marché européen par exemple, le prix cible du carbone pourrait et devrait se situer entre 60 et 80 euros par tonne dès 2030, et là, on serait en ligne avec les objectifs de l'Accord de Paris. Nous souhaitons donc que la Coalition pour le prix du carbone puisse aboutir rapidement à la généralisation de la tarification du carbone. Merci de votre attention. [MUSIQUE]