Dans cette présentation aujourd’hui,
nous allons parler de la crise de l’Etat en Afrique.
Lorsque l’on parle
de la crise de l’Etat en Afrique
on fait référence à l’effectivité de l’Etat.
Cela nous amène à deux questions,
la première question c’est le processus même
de formation de l’Etat
et la deuxième question c’est l’autonomie de l’Etat
dans la société.
La dynamique de formation de l’Etat en Afrique.
Quand on parle de l’Etat,
il y a deux manières de le définir.
On peut définir l’Etat juridiquement
ou sociologiquement,
mais les deux définitions se complètent.
La définition juridique de l’Etat
met l’accent d’abord sur le territoire,
il ne peut pas y avoir d’Etat sans territoire.
Par exemple il y a des peuples
ou des nations sans territoires,
nous pensons par exemple aux Touaregs
qui sont disséminés entre 3 pays :
Le Niger, le Mali et l’Algérie,
à la recherche d’un territoire.
C’est la même chose aussi pour les Kurdes
qui sont en Irak, en Syrie etc.
Donc le territoire est un élément important de l’Etat,
il ne peut pas y avoir d’Etat sans territoire.
Le deuxième élément juridique de l’Etat
c’est la population, sur un territoire,
il doit y avoir une population.
Alors cela pose la question :
est-ce que la population doit être homogène,
donc cela pose la question de l’Etat nation,
est-ce que l’Etat doit coïncider avec la population,
est-ce que c’est un Etat nation
ou bien c’est un Etat plurinational,
c’est-à-dire qu’il y a plusieurs nations dans la société.
Le troisième élément c’est le pouvoir politique,
non seulement il faut un territoire où vivent des gens,
mais il faut que le pouvoir politique
s’exerce sur ces populations, sinon c’est l’anarchie.
Et donc cela pose la question
de l’effectivité du pouvoir,
est-ce que l’Etat contrôle
toute sa population et l’ensemble de son territoire.
Mais un dernier élément juridique important,
souvent négligé, c’est la reconnaissance internationale.
C’est-à-dire qu’un Etat n’est Etat
que s’il est reconnu par les autres membres
de la communauté internationale.
Aujourd’hui par exemple, il y a le Somaliland
qui fonctionne normalement,
un territoire, une population,
un pouvoir politique qui s’y exerce,
mais ce n’est pas reconnu par la communauté des nations,
donc ce n’est pas un Etat
qui est reconnu internationalement.
Ces éléments juridiques sont importants,
mais ils méritent d’être complétés
par des éléments sociologiques
qui permettent de voir l’effectivité
ou le fonctionnement concret de l’Etat.
Et parmi ces éléments sociologiques,
un élément important est ce qu’on appelle
le monopole de la violence légitime.
C’est-à-dire que dans un Etat organisé,
seul l’Etat a le monopole
de la violence légitime
à travers ses appareils sécuritaires,
tels que la police, la gendarmerie ou l’armée.
Parce que, dans la plupart des pays africains,
souvent l’Etat ne contrôle pas,
n’a pas le monopole de la violence légitime.
Il y a des groupes, des groupuscules,
des mouvements rebelles qui contrôlent leurs zones
et qui exercent la violence légitime.
Donc ce monopole de la violence légitime
est aussi un élément important
dans la définition de l’Etat.
Mais l’Etat c’est aussi des actes discursifs,
c’est-à-dire la parole.
Par exemple, quand le président
s’adresse à la nation donc le discours de l’Etat,
l’Etat se légitime aussi par son discours.
Mais la légitimation de l’Etat
c’est aussi à travers ses symboles.
L’Etat c’est des symboles, c’est le drapeau,
c’est l’hymne national,
c’est tout l’apparat du pouvoir,
par exemple les lettres de créances,
un ambassadeur qui vient
dans un nouveau pays doit présenter
ses lettres de créance aux autorités du pays.
Donc cela fait partie des symboles de l’Etat,
le corps diplomatique qui chaque année
se retrouve pour présenter ses vœux
au président de la République,
tout cela participe à la légitimation de l’Etat.
Mais l’Etat c’est aussi ses réalisations,
à travers ses routes, ses bâtiments,
ses écoles, ses centres de santé etc.,
ça permet de voir, comme disait Hans Kelsen,
il n’a jamais rencontré l’Etat,
mais il y a des incarnations de l’Etat,
l’Etat s’incarne à travers ses fonctionnaires,
à travers ses bâtiments,
à travers ses réalisations,
à travers ses forces de sécurité.
Mais au-delà de cela,
maintenant la question qui se pose :
est-ce que l’Etat est autonome dans la société,
parce que l’Etat doit être une structure
générale et impersonnelle.
Mais le problème en Afrique est qu’on se rend compte
que ces éléments parfois posent problème.
La question de l’autonomie de l’Etat
renvoie à l’effectivité de l’Etat
et est perceptible à travers
le comportement de ses élites.
L’Etat en Afrique est délégitimé
à cause du comportement des élites
qui incarnent l’Etat. Pourquoi
et à travers quelles stratégies ?
D’abord le comportement des élites
est perceptible à travers la confusion,
la confusion entre les biens publics et les biens privés.
Quand on est un homme d’Etat,
on confond souvent ce qui relève de l’Etat
et ce qui relève du privé.
Par exemple, les partis politiques d’opposition
se plaignent souvent en Afrique,
durant les élections, de l’utilisation
des moyens d’Etat à des fins politiques.
Donc ceux qui sont au pouvoir utilisent
les moyens de l’Etat alors qu’ils sont
dans une campagne électorale
pour la conquête et l’exercice du pouvoir,
ça aussi ça délégitime l’Etat.
L’Etat c’est aussi en Afrique
ce qu’on appelle la patrimonialisation de l’Etat,
c’est-à-dire qu’on confond le patrimoine de l’Etat
par rapport au patrimoine privé,
donc c’est le patrimoine familial
qui est au coeur de l’Etat, on l’a vu dans des pays africain,
en République centrafricaine par exemple
où il y avait la famille de François Bozizé
qui était au coeur de l’Etat.
Aujourd’hui au Sénégal on parle
de dynastie FallSall pour faire référence
à la prégnance de la famille présidentielle
et de la belle-famille présidentielle.
D’autres éléments qui délégitiment,
ou en tous cas affaiblissent l’Etat en Afrique,
c’est la personnalisation du pouvoir.
L’Etat se ramène finalement à une personne
qui le personnifie, ce qui fait que par exemple
les citoyens, quand ils ont des problèmes
vont directement parler avec le président de la république
en sautant tous les autres échelons.
Cette personnalisation de l’Etat finalement
amène des règnes dynastiques qui font
que le pouvoir se transmet de père en fils,
on l’a vu au Gabon avec la famille Bongo,
on l’a vu au Togo avec la famille Eyadema etc.