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Le problème de la complexité n'est pas nouveau,
il existe depuis qu'il y a une humanité.
Et on peut dire qu'au cours de l'histoire humaine, bien des penseurs,
bien des observateurs, bien des écrivains l'ont traité,
mais sans employer le mot de complexité.
J'ai cité ce philosophe de l'antiquité, Héraclite,
qui a dit : vivre de mort ou mourir de vie.
Et il a dit aussi cette phrase admirable pour nous,
en disant : Éveillés, ils dorment.
C'est vrai que tout en étant éveillé, il y a toute une partie de nous qui est
somnambule, c'est-à-dire nous ne sommes même pas conscients de ce qui se passe
dans notre cerveau, nous ne sommes pas conscients de notre cœur qui bat
sauf si vraiment il s'arrête et, à ce moment-là, nous perdons conscience.
Nous sommes des machines, mais nous sommes des machines avec beaucoup d'automatismes,
et une partie seulement est humaine, à la surface, à la conscience.
On peut dire que tous les grands philosophes
ont découvert un aspect de la complexité du réel.
Regardez Platon, lui, il avait ce mythe de la Caverne.
Il dit : nous sommes comme des prisonniers dans une caverne.
Nous ne voyons que des ombres sur les murs, nous ne voyons pas la réalité.
Eh bien un autre philosophe, Kant, a dit, d'une autre façon,
le même problème en disant : nous ne voyons que les phénomènes,
c'est-à-dire ce qui apparaît à nos yeux, à nos sens.
Mais ce qui apparaît à nos yeux, à nos sens,
ce n'est pas la vraie réalité qui est cachée, ce qu'il appelle les noumènes.
Donc quelle est la réalité du réel?
Voici un problème fondamental qui n'a pas été résolu.
Mais nous savons que derrière notre réalité quotidienne,
derrière ce micro, derrière ce lieu où je parle,
il y a une zone de mystère.
Et puis même cette table, qui est tellement simple,
mais si vous la regardez d'un point de vue microphysique,
vous voyez qu'elle est constituée d'atomes qui sont aussi éloignés les uns des autres
que les planètes de notre système sont éloignées.
Donc, si vous voulez, la complexité,
sans qu'il y ait le mot, m'a toujours intriguée.
La pensée humaine, et puis,
il y a ceux qui ont dit le monde que nous voyons n'est que des apparences.
Ça, c'est le message des bouddhistes qui rejoint celui de Platon d'une
certaine façon.
Bref, on s'interroge sur la nature de la réalité,
comment la saisir, et cetera.
Donc, vous voyez que c'est un problème de fond, mais dans notre époque,
au cour de notre époque, je dirais qu'il s'est intensifié.
Il s'est intensifié parce que le cours de l'histoire s'est énormément complexifié.
Encore, au XVIIIe siècle, c'était des guerres, je ne dis pas en dentelles,
c'était des guerres de mercenaires, et les États se livraient
entre ces guerres, avec ces armées de mercenaires,
capables de grandes déprédations incontestablement.
Mais c'est différent des guerres qui se sont livrées avec la levée en masse des
citoyens au moment de la Révolution Française.
Et après, maintenant, dans les temps modernes,
ce sont tous les citoyens qui sont mobilisés et qui deviennent soldats.
Et même les civils participent à la guerre, ils sont bombardés ou ils peuvent
intervenir aussi dans la Croix Rouge, ou autre chose.
Donc si vous voulez, les nations sont devenues, elle-mêmes,
de plus en plus complexes, avec l'apparition des techniques,
de l'industrie, le déracinement des paysans.
Bon, nous vivons dans un monde qui s'est complexifié,
et nous vivons justement dans ce monde mondialisé où il y a une unité technique,
économique, et en même temps un très grand désordre.
Des conflits apparaissent entre les nations,
entre des ethnies, et les religions.
C'est-à-dire, vous avez un mélange de coopération qui est quasi économique,
et de conflits surtout politiques, ethniques ou religieux.
Et puis nos vies sont de plus en plus livrées à l'incertitude qui,
comme je vais le montrer, est un des ingrédients de la complexité.
Pourquoi?
Parce qu'elles sont de plus en plus précaires.
En tant qu'individu, la jeunesse est en face d'une précarité pas seulement de son
destin personnel mais du destin historique qu'elle va vivre.
Et la société, la planète aussi, le futur est obscur.
Donc, nous avons à nous poser des questions.
Comment connaître?
Comment connaître avec le hasard, avec l'inattendu, avec l'improbable?
Et aussi avec toutes ces innombrables interactions et rétroactions dans
lesquelles nous sommes pris.
Comme je vous l'ai dit, nous arrivons à un problème de difficulté à prévoir.
Comme nous l'a montré la thérie du chaos, qui montre que même des phénomènes à
l'origine déterministe, on ne peut pas prévoir leur déroulement.
Donc, nous avons un problème profond qui
est le problème de la connaissance et qu'on va,
évidemment, traiter au cours d'un MOOC suivant.
C'est-à-dire, il est évident que la difficulté d'avoir une connaissance juste,
d'avoir une connaissance pertinente dans un monde complexe, est une chose capitale.
Il faut donc nous éclairer un peu sur les possibilités
et sur les dangers que court la connaissance, ce que je vais faire.
J'ai dit tout à l'heure aussi que l'incertitude fait
partie de la complexité, et comme les incertitudes sont croissantes,
il faut effectivement aborder ce que nous ferons la prochaine fois,
le problème de l'incertitude.
Donc, voilà un ensemble de questions qui s'ouvrent devant
nous : connaissance, incertitude, j'ajoute compréhension.
Parce que un des obstacles très, très grand dans notre vie,
c'est l'incompréhension d'autrui et aussi, le fait qu'autrui, souvent,
ne nous comprend pas nous-mêmes.
Et ça, ce n'est pas seulement avec des étrangers à notre culture,
ça se passe aussi dans nos familles, ça se passe aussi dans nos ateliers,
dans nos bureaux, dans nos entreprises.
Le problème de la compréhension est un élément vital,
parce que l'incompréhension crée pas seulement des malentendus,
mais des désastres, des allergies mentales, psychiques, des haines.
Donc, si vous voulez, voici toute une série de problèmes.
Et je dois remarquer, en plus, que tous ceux qui ont une carrière,
disons, dans laquelle ils rencontrent l'aventure et l'incertitude,
qui sont les carrières d'entreprise, de commerce, d'industrie,
à la différence des carrières, disons de fonctionnaires,
tous ceux-ci bien évidemment rencontrent tous ces problèmes de l'erreur,
de l'illusion, de l'incertitude, sans arrêt.
Mais même quelqu'un qui est fonctionnaire, il n'est pas certain,
il peut être certain d'avoir sa retraite, mais, vous savez,
il n'est pas certain s'il va s'élever dans un grade.
Il ne sait pas s'il va être rejeté dans un cul de sac.
Et puis, il ne sait pas aussi si sa vie va être heureuse,
s'il va bien vivre avec la personne de son choix, et cetera.
Donc, nous voici dans une situation où,
disons, la complexité de la vie se pose pour tous.
Mais, comme je le répète parce que je le répète pour conclure,
il est évident que ceux dont la carrière,
dont la profession comporte un risque, comporte un pari,
comporte des décisions et des choix à prendre qui peuvent
être irréversibles ; il est évident que dans tout ce domaine-là,
la façon d'arriver à une connaissance complexe,
la façon de pouvoir traiter la situation dans
laquelle ils se trouvent avec assez de pertinence.
Et la question de prendre des décisions qui sont toujours des paris,
je le dirai, mais des paris à bon escient, tout ceci font que justement
ce sont des carrières qui se préparent à l'ESSEC, qui elles,
méritent particulièrement d'être concernées
par la connaissance complexe.